Mardi 2 août 2017 — Deux voyages, avec momos (version française)

Pas grande chose a été pub­liée sur ce site au cours de la dernière année. Peu après mon retour d’un voy­age en France, une série d’événe­ments a com­mencé à mod­i­fi­er mes cir­con­stances per­son­nelles, en com­mençant par la mort de ma mère. De nou­velles respon­s­abil­ités per­son­nelles appa­rais­sent et des change­ments de plan. Pen­dant un cer­tain temps, je ne suis pas d’humeur pour les com­mu­ni­ca­tions per­son­nelles. Mais alors que je n’ai pas eu beau­coup de temps à écrire mon blog, j’ai été en train de faire des recherch­es et d’écrire beau­coup. Main­tenant, je com­mence une nou­velle phase, parce que j’ai aban­don­né les emplois rémunérés et j’e­spère sur­vivre entière­ment en écrivant. Cela sig­ni­fierait des sac­ri­fices — vivre fru­gale­ment l’un d’en­tre eux. Mais il y a des avan­tages. Pen­dant des années, main­tenant, je pou­vais rarement me livr­er à l’un de mes plus grands plaisirs, en marchant dans les ravins et dans les coins loin­taux de ma ville. Je n’avais tout sim­ple­ment pas le temps libre, et un tra­vail à l’ex­térieur qui me tenait debout dix heures tous les jours me lais­sait trop fatigué pour le faire. Mais main­tenant, je serai assis à un ordi­na­teur pen­dant la plu­part du temps, et faire de la ran­don­née sera néces­saire pour écarter le péril clas­sique des écrivains: le sur­poids. Donc, je ne marche plus pour gag­n­er ma vie, mais je suis libre de marcher pour le plaisir.

A l’aide de ce tra­vail payé précé­dent, j’ai eu un lais­sez-pass­er men­su­el pour l’au­to­bus et le métro, et il est resté valide jusqu’au pre­mier août. Pour ne pas per­dre, je l’u­til­i­sais le dimanche et le lun­di, pour aller dans deux quartiers éloignées de la ville pour faire des prom­e­nades. Le dimanche, je suis allé au sta­tion de métro Old Mill [«vieux moulin»], afin que je puisse marcher le long de la riv­ière Hum­ber. La rue Bloor et les trains de métro ici tra­versent la Hum­ber, riv­ière qui sépare la vieille ville de Toron­to de la ban­lieue d’E­to­bi­coke [1]. Mais à quelques pas de là, il y a un pont plus ancien, con­stru­it en 1916 et très char­mant. Ce fut le point de croise­ment pour la riv­ière pour plusieurs siè­cles. A cette place se trou­vait la ville du 17ème siè­cle des Indi­ens Séné­cas ou Tson­non­touans, appelée Teia­iagon, à son apogée d’en­v­i­ron 5 000 habi­tants dans ses «longues maisons». C’é­tait un impor­tant cen­tre com­mer­cial le long du sen­tier qui a rejoint le lac Ontario avec les ter­res des Huron au nord et les Grands Lacs supérieurs. Mais la ville de Teia­iagon était l’apothéose d’une his­toire très longue, car il y avait des gens qui vivaient le long du Hum­ber il y a douze mille ans. Les his­to­riens locaux étaient bien occupés, et main­tenant il y a des plaques séman­tiques en anglais, français et sénèque indi­quant ceci et cela. Par­mi ceux-ci, celui qui com­mé­more Éti­enne Brûlé, dont le nom a été don­né aux parcs situés le long du fleuve au nord de Bloor. Cela m’a don­né un grand plaisir, parce qu’il est l’un de mes per­son­nages préférés de l’his­toire du Cana­da, et l’un de mes chats (main­tenant adop­té par deux de mes amis) a été nom­mé d’après lui. Arrivée au Cana­da en prove­nance de la France à l’âge de 16 ans, Brûlé a choisi de vivre par­mi les autochtones et, après avoir appris les langues Algo­nquin et Wen­dat, a com­mencé une série de voy­ages extra­or­di­naires qui s’é­tendaient sur qua­tre des cinq Grands Lacs, la plu­part de l’On­tario du Sud, le Michi­gan, l’O­hio et la Penn­syl­vanie. C’est en 1615 que Brûlé est arrivé à cet endroit pré­cis. Aucun autre vis­i­teur enreg­istré jusqu’en 1678: arri­va à ce moment-là René-Robert Cave­li­er, Sieur de La Salle, le Sieur de La Motte et le Récol­let Louis Hen­nepin. Leur navire fut échoué et coincée dans la glace à l’embouchure de la riv­ière. Ils mar­chaient en amont pour se rav­i­tailler par­mi les Séné­cas. Au cours du prochain siè­cle, les Mis­sis­saugas, un tribu du peo­ple Anishi­naabe, ont large­ment implan­tés les Séné­cas, con­stru­isant un autre vil­lage sur la banque opposée, plus près du présent sta­tion de métro. Le com­merce dans la région a prospéré pen­dant la Grande Paix de Mon­tréal, et en 1730, il y avait un «mag­a­sin roy­al», aus­si bien qu’une gar­ni­son française sta­tion­né plus en aval et à l’est de la riv­ière à Fort Rouil­lé. Quelques fran­cais venaient vivre le long de la riv­ière. Mais toutes ces choses ont dis­paru en rai­son de la vio­lence de la Guerre de Sept Ans, et cette par­tie de la riv­ière, dont le nom en langue des Senecas est Niwa’ah One­ga’­gai­h’ih et dans la langue de l’An­ishi­naabe est Gabekanaang-ziibi, est resté déserté jusqu’à ce que les colons du York­shire soient arrivés et l’ont renom­mé Hum­ber, après le plus grand fleuve dans cette par­tie du nord de l’An­gleterre. Une série de moulins ont été con­stru­its à la tra­ver­sée, dont le dernier, un moulin à grains, a été incendié en 1881 et est resté une ruine de pierre pit­toresque jusqu’à ce que ses murs aient été incor­porés dans un nou­v­el hôtel en 2001.

17-08-01 BLOG old bridgeAvec toute cette his­toire à l’e­sprit, je me dirigeais vers le sud vers les marécages de l’embouchure de la riv­ière, et en quelques min­utes je ne voy­ais aucun bâti­ment. De temps en temps, un can­ot dériverait. La forêt ici est un reste préservé de la forêt car­olin­i­enne qui a cou­vert ce qui est main­tenant Toron­to avant qu’il ne s’agisse de fer­mes, puis de ville. Il y a beau­coup de chênes hauts et anciens ici. Et ceux-ci sont égale­ment liés à l’his­toire. Le plus grand groupe d’en­tre eux, env­i­ron 150 arbres, est con­nu sous le nom de Tuh­be­nah­nee­quay Ancient Grove, nom­mé d’après la fille du chef des Mis­sis­saugas, Wah­banosay, qui était le prin­ci­pal négo­ci­a­teur et sig­nataire de l’achat en 1805 des ter­res qui deviendraient la plu­part de Toron­to. Tub­nah­nee­quay s’est mar­ié avec Augus­tus Jones, l’ar­pen­teuse prin­ci­pale du Haut-Cana­da. Jones était un cama­rade de Thayen­da­negea (Joseph Brant) et était avec lui lorsqu’il a mené la migra­tion loy­al­iste des Six Nations Iro­quois de New York au Cana­da. Tub­nah­nee­quay était une de ses deux co-épous­es, car Jones a suivi la cou­tume autochtone. Tub­nah­nee­quay l’a épousé dans une céré­monie wiidi­gendi­win [2], car elle était un tra­di­tion­al­iste stricte, mais l’autre femme de Jones, Sarah Tek­ere­hogen était Mohawk et Méthodiste. L’un des fils de Tub­nah­nee­qay, bien qu’élevé par elle dans la tra­di­tion midewi­win des Mis­sis­sisaugas, dans la vie tar­dive est devenu un célèbre prédi­ca­teur méthodiste, en tournée dans le monde. Le bosquet est nom­mé d’après elle, car à ce moment-là, les guer­ri­ers Mis­sis­saugas, dirigés par elle et son père, ont pris posi­tion, affir­mant que le can­ton d’E­to­bi­coke, sur le côté ouest de la riv­ière, ne fai­sait pas par­tie de l’achat. Les débats juridiques entourant le traité d’achat de Toron­to se sont pour­suiv­is jusqu’à ce qu’il soit finale­ment résolu en 2010!17-08-01 BLOG Humber River

Non seule­ment les chênes, mais tous les arbres sont splen­dides. La terre devient plus humide lorsque vous marchez vers le sud, jusqu’à ce qu’il s’agisse de marécages larges. Ici, il y a beau­coup d’oiseaux. En très peu de temps, j’ai vu d’in­nom­brables papil­lons monar­ques et des libel­lules, de nom­breux canards et cor­morans, un tern, un écureuil rouge, un rat musqué et une mag­nifique aigrette blanche, per­chée sur un mem­bre avec une dig­nité chevaleresque. Il y a aus­si des cas­tors, des renards et même des cerfs, mais je n’en ai vu aucun. Un peu plus près du lac, la rive ouest de l’Hum­ber est blo­quée par une falaise abrupte, et il faut se détourn­er de la riv­ière pour la dépass­er. Ce détour m’a amené dans un quarti­er rési­den­tiel idyllique, con­nu sous le nom de Stonegate. Il est en par­tie com­posé de petits immeubles con­stru­its dans les années 1950, tous très bien entretenus, et aus­si de belles maisons dans des rues arborées. Stonegate Road pos­sède cer­taines des meilleures maisons que j’ai vues dans la ville, au sens du bon goût plutôt que de la richesse. À la fin de cette rue, des bois dens­es recom­mençaient, et je suiv­is un sen­tier ser­pen­tant dans le parc South Hum­ber. Ici, j’ai vu un élé­ment oublié du Mod­ernisme des années 1950, le «Sun­catch­er» [«trappeur-solaire»], un pavil­lon étrange inspiré par l’art de la sci­ence-fic­tion de l’époque, sans aucun but iden­ti­fi­able, sauf peut-être pour être le meilleur endroit pour fumer un pétard. Après cela, la den­sité des arbres dimin­ue, une énorme usine de traite­ment de l’eau est apparue à droite et la voie a cou­ru sous le pont Queensway Avenue, puis sous le chemin de fer CNR, puis sous l’au­toroute Gar­diner, et finit par ter­min­er où la riv­ière Hum­ber se vide Dans la mer intérieure que nous appelons le lac Ontario. Là, un petit pied de ville per­met de tra­vers­er la riv­ière, per­me­t­tant de quit­ter Eto­bi­coke et de ren­tr­er à Toronto.

17-08-01 BLOG SuncatcherÀ ce stade, j’avais très faim. Pas de prob­lème. Un petit tramway m’a amené dans le quarti­er que nous appelons Lit­tle Tibet et j’adore la cui­sine tibé­taine. Ici, la plu­part des meilleurs restau­rants tibé­tains à Toron­to sont con­cen­trés ― Le Lhas­sa, Nor­ling, Shangri­la, La Cui­sine Tibé­taine, Café Tsam­pa Café, Tashi Delek, La Cui­sine Himalayenne, Le Tibet, Om, Kasthaman­dap. Je choi­sis Loga’s Cor­ner, parce que là je pou­vais com­man­der des momos à emporter, ces déli­cieuses boulettes tibé­taines, avec la sauce mai­son piquante du pro­prié­taire, et les ramen­er chez moi à manger à loisir. Bien­tôt, j’é­tais de retour chez moi, les pieds ser­rés, les momos en sauce, sans autre souci que de garder les chats de les attraper.

Lun­di, le dernier jour que j’ai pu utilis­er le pas­sage, j’ai choisi d’aller vers l’est, dans la par­tie du Toron­to mét­ro­pol­i­tain appelée Scar­bor­ough par ses habi­tants, mais «Scar­be­ria» (Scar­bérie, sug­gérant la Sibérie) par les gens du cen­tre-ville. C’est en grande par­tie le pro­duit de l’ex­pan­sion des ban­lieues après la Sec­onde Guerre mon­di­ale, et est prin­ci­pale­ment sur des ter­res plates, mais à l’ex­trémité est, il y a une riv­ière majeure, forte­ment boisée, le Rouge; et le long du lac, c’est une longue série de falais­es sablon­neuses, nom­mées Les Grands Ecores en français par les explo­rateurs, et aujour­d’hui s’ap­pel­lent Scar­bor­ough Bluffs. Ceux-ci atteignent 90 mètres, dimin­u­ant gradu­elle­ment en hau­teur vers l’est. Ils sont tou­jours érodés, et les maisons et les rues sont main­tenant éloignées de leur bor­dure ― après que quelques-uns ont fini par tomber. Il y a eu une nou­velle éro­sion con­sid­érable cette année, puisque le lac est à son plus haut niveau enreg­istré, et il y a eu plusieurs orages.

Je suis allé à la sta­tion de métro la plus à l’est (Kennedy), puis j’ai pris un bus qui s’est passé lente­ment vers l’est, dans divers quartiers, en pas­sant par de petits «cen­tres com­mer­ci­aux» rem­plis de mag­a­sins tamouls, afghans et caribéens, et finale­ment m’a lais­sé sur une rue calme. Une courte prom­e­nade m’a con­duit à l’en­trée d’un parc. Il avait peu d’am­bi­tions comme parc, car ce n’é­tait rien de plus que l’e­space entre les côtés arrière des maisons et le bord de la falaise, des tach­es aléa­toires de pelouse ton­du et de forêt, prin­ci­pale­ment un endroit où les gens du quarti­er promè­nent leur chien. Les seules per­son­nes que j’ai ren­con­trées fai­saient exacte­ment cela. Leur chien d’ar­rêt s’est régalé joyeuse­ment et m’a approché pour faire ami. Il y avait de nom­breux signes qui indi­quaient que les gens ne se tenaient pas au bord des falais­es. Ils ne sont que d’en­v­i­ron 30 mètres de haut dans cette zone, mais le sol est très lâche, inondé et glis­sant, et cer­tains des pan­neaux d’aver­tisse­ment n’ex­is­tent plus parce qu’ils étaient autre­fois situés dans ce qui est main­tenant un espace plein de mou­ettes aéri­ennes . En marchant vers l’est, les tach­es d’herbe dis­parais­saient, et je suiv­is un chemin loin­tain à tra­vers les bois. Cela a changé de direc­tion brusque­ment, parce que j’avais atteint un point où un ruis­seau s’é­tait érodé à tra­vers la falaise.23839904

Je suiv­is cet piste jusqu’à un point où je pou­vais descen­dre le ruis­seau qui me con­duirait vers le rivage. Mais il n’y avait pas de sen­tiers descen­dus, seule­ment un enchevêtrement dense d’ar­bres, de bross­es et de boue. Il faut faire atten­tion ici, car l’or­tie est abon­dante dans de tels endroits. L’or­tie a une fleur recon­naiss­able au print­emps, mais à cette péri­ode de l’an­née, on dirait toute autre mau­vaise herbe. Lorsque ses feuilles se brossent con­tre votre peau, des mil­liers de poils micro­scopiques se tien­nent et libèrent de l’his­t­a­mine et de l’acétyl­choline, provo­quant des brûlures et des démangeaisons pen­dant des heures. Il y a aus­si beau­coup de bar­dane, de chardon, de poi­son et de sumac ven­imeux. Mais j’ai évité ces périls et je me suis retrou­vé en bas, au bord du lac. Il s’ap­prochait du cré­pus­cule, et pen­dant la dernière heure, j’avais enten­du un ton­nerre lointain.

À l’est, au-dessus du lac, des nuages som­bres étaient en train d’empiler et de rouler. Rien de la ville n’é­tait vis­i­ble de cette par­tie du rivage, seule­ment les falais­es qui traî­naient vers l’ouest et vers l’est et la vaste éten­due du lac. Le lac Ontario est le plus petit des cinq Grands Lacs, mais il s’ag­it encore de la taille du pays entier de la Slovénie. Bien que, à midi, ses eaux ont bril­lé leur célèbre bleu lumineux, tel que célébré par Walt Whit­man dans son poème By Blue Ontar­i­o’s Shore [Sur la rive de l’On­tario si bleu], mais main­tenant gris fon­cé, refroidis­sant. En fait, Whit­man a nav­igué par cet endroit même sur le bateau à vapeur Alger­ian, le 27 juil­let 1880. Il a spé­ci­fique­ment men­tion­né, dans un jour­nal [3], que le navire se tenait près du rivage, et le bleu bril­lant du lac. Il était un obser­va­teur exacte, remar­quant tou­jours rapi­de­ment et iden­ti­fi­ant une fleur ou un arbre pari­ant, désireux d’é­val­uer les fer­mes, remar­quer les styles de mai­son et à quel point était bien ou mal amé­nagée une rue, un bâti­ment, un train ou un bateau. Voici quelques extraits:

I am in the midst of hay­mak­ing, and, though but a look­er-on, I enjoy it great­ly, untir­ingly, day after day. Any hour I hear the sound of scythes sharp­en­ing, or the dis­tant rat­tle of horse-mow­ers, or see loaded wag­ons, high-piled, slow­ly wend­ing toward the barns; or, toward sun­down, groups of tan-faced men going from work.  [Je suis au milieu de la fenai­son, et, bien que, à l’hon­neur, je l’ap­pré­cie grande­ment, sans relâche, jour après jour. A toute heure, j’en­tends le bruit de l’af­fû­tage des faux, ou le hochet loin­tain des ton­deuses à cheval, ou voient des wag­ons chargés, empilés, en train de se remon­ter lente­ment vers les granges; Ou, vers le couch­er du soleil, des groupes d’hommes bronzés vont du travail.]

To-day we are indeed at the height of it here in Ontario. A muf­fled and musi­cal clang of cow-bells from the grassy wood-edge not far dis­tant. [Aujour­d’hui, nous sommes à la hau­teur de cela ici en Ontario. Un clou étouf­fé et musi­cal de cloches de vache du bord de bois her­beux pas lointain.]

In blos­som now: del­phinium, blue, four feet high, great pro­fu­sion of yel­low-red lilies; a yel­low core­op­sis-like flower, same as I saw Sept. ’79; wild tan­sy, weed from 10 to 15 inch­es high, white blos­som, out in July in Cana­da, straw-col­ored hol­ly­hocks, many like ros­es, oth­ers pure white — beau­ti­ful clus­ters every­where in the thick dense hedge-lines; aro­matic white cedars at evening; the fences, veran­dahs, gables, cov­ered with grapevines, ivies, hon­ey­suck­les… [En fleur main­tenant: del­phini­um, bleu, qua­tre pieds de haut, grand prodi­ge de lis jaune-rouge; Une petite fleur de type core­op­sis, comme je l’ai vu le sept .79; Tan­sy sauvage, mau­vais­es herbes de 10 à 15 pouces de haut, en fleurs au mois de juil­let au Cana­da, des haltères de couleur paille, beau­coup comme des ros­es, d’autres blancs purs — des amples clans ¬à l’en­droit où se trou­vent les dens­es haies; Cèdres blancs aro­ma­tiques au soir; Les clô­tures, les veran­da­da, les pignons, les vignes, les lierre, les chèvrefeuille .…..]

… I spent a long time to-day watch­ing the swal­lows — an hour this forenoon and anoth­er hour after­noon. There is a pleas­ant, seclud­ed, close-cropt grassy lawn of a cou­ple of acres or over, flat as a floor and sur­rounded by a flow­ery and bushy hedge, just off the road adjoin­ing the house, — a favorite spot of mine. Over this open grassy area immense num­bers of swal­lows have been sail­ing, dart­ing, cir­cling, and cut­ting large or small 8’s and s’s, close to the ground, for hours to-day. It is evi­dently for fun alto­gether. I nev­er saw any­thing pret­tier — this free swal­low dance. [… J’ai passé un long moment à sur­veiller les hiron­delles — une heure de cette mat­inée et une heure après-midi. Il y a une pelouse her­beuse agréable, isolée et fer­mée de quelques hectares ou plus, plate comme un planch­er et entourée d’une haie fleurie et touf­fue, juste à côté de la route attenante à la mai­son, un lieu préféré à moi. Au-dessus de cette zone her­beuse ouverte, d’im­menses nom­bres d’hi­ron­delles ont nav­igué, jeté, cir­culé et découpé de grands ou petits 8s et Ss, près du sol, pen­dant des heures à jour. C’est évidem­ment pour l’a­muse­ment. Je n’ai jamais rien vu de plus joli — cette danse libérate d’hirondelles.]

I rose this morn­ing at four and look’ed out on the more pure and reful­gent star­ry show. Right over my head, like a Tree-Uni­verse spread­ing with its orb-apples, — Alde­beran lead­ing the Hyades; Jupiter of amaz­ing lus­tre, soft­ness and vol­ume; and, not far behind, heavy Sat­urn, — both past the merid­ian; the sev­en sparkling gems of the Pleiades; the full moon, volup­tuous and yel­low, and full of radi­ance, an hour to set­ting in the west. Every­thing so fresh, so still; the deli­cious some­thing there is in ear­ly youth, in ear­ly dawn —- the spir­it, the spring, the feel; the air and light, pre­cur­sors of the untried sun; love, action, forenoon, noon, life — full-fibred, latent with them all. [Je me suis levé ce matin à qua­tre heures et j’ai regardé le spec­ta­cle étoilé si pur et réjouis­sant. Au-dessus de ma tête, comme un arbre-univers se répan­dit avec ses orb-pommes, — Alde­ber­an dirigeant les Hyades; Jupiter d’éblouisse­ment incroy­able, douceur et vol­ume; Et, pas loin der­rière, lourd Sat­urne, — passé devant le méri­di­en; Les sept gemmes pétil­lantes des Pléi­ades; La pleine lune, voluptueuse et jaune, et plein d’é­clat, une heure à couch­er dans l’ouest. Tout est telle­ment frais, si encore; La déli­cieuse chose qu’il y a au début de la jeunesse, au début de l’aube — l’e­sprit, le print­emps, la sen­sa­tion; L’air et la lumière, les précurseurs du soleil non éprou­vé; L’amour, l’ac­tion, le matin, le midi, la vie, la pleine fibre, latente avec tous.]

By Blue Ontario’s Shore était le poème dans lequel Whit­man a exploré les tri­om­phes et les tragédies de son pro­pre pays, les États-Unis, qui sont presque vis­i­bles depuis ce point sur le rivage en forme de ligne mince à l’hori­zon au sud. Ce que l’on voit n’est pas vrai­ment le rivage actuel de l’É­tat de New York, mais la blancheur de la brume flot­tant au-dessus de la terre. Au fur et à mesure que les yeux se tour­nent vers l’est, le long du lac, l’hori­zon ne mon­tre que la ligne pointue du ciel qui ren­con­tre l’eau.17-08-01 BLOG Lake 1

By blue Ontario’s shore,
As I mused of these war­like days and of peace return’d, and 
the dead that return no more

[Sur la rive de l’On­tario si bleu,
Comme je pen­sais à ces jours guer­ri­ers et à la paix,
Les morts qui ne ren­voient plus]

Le poème est pra­tique­ment schiz­o­phrène dans ses dual­ités non résolues. Il cherche à com­pren­dre, à embrass­er et à pren­dre en charge toute la lib­erté et la jeunesse sauvages de son pays et ses trag­iques faiblesses.

O I see flash­ing that this Amer­ica is only you and me,
Its pow­er, weapons, tes­ti­mony, are you and me,
Its crimes, lies, thefts, defec­tions are you and me,

[O Je vois clig­no­tant que cette Amérique n’est que toi et moi,
Son pou­voir, ses armes, ses témoignages, vous et moi,
Ses crimes, vos men­songes, vos vols, vos défec­tions sont vous et moi,]

Surtout, la blessure tou­jours saig­nante de son plus grand et le plus hon­teux mal:

Slav­ery — the mur­der­ous, treach­er­ous con­spir­acy to raise it
upon the ruins of all the rest

[L’esclavage — le com­plot meur­tri­er et traître pour l’élever
Sur les ruines de tout le reste]

Lorsque Whit­man a vis­ité l’On­tario, il venait à un endroit où l’esclavage avait été aboli en 1793, et les con­flits poli­tiques et soci­aux internes étaient telle­ment apprivoisés qu’ils n’é­taient guère au niveau des bagar­res au salles de bar à Brook­lyn, domi­cile de Whit­man. Le pays dont il venait n’é­tait pas en bonne forme. Après l’a­battage de la guerre civile, le Par­ti répub­li­cain a rapi­de­ment épuisé les intérêts des Afro-Améri­cains qu’il avait com­bat­tu pour libér­er et l’élite du Sud a pu utilis­er le ter­ror­isme sys­té­ma­tique pour les ramen­er a l’esclavage virtuel, avec les pau­vres blancs ruraux que peu de degrés au-dessus d’eux, alors que tout élé­ment de la démoc­ra­tie était déman­telé. Sur le plan fédéral, quelques grandes entre­pris­es, con­nues sous le nom de «trusts» [fiducies], avaient con­trôlé presque toute la vie économique, tan­dis qu’un con­clave de financiers et d’in­dus­triels rich­es avait sim­ple­ment mis en place des liq­uid­ités pour acheter le gou­verne­ment. La cor­rup­tion poli­tique et finan­cière était non caché et omniprésente. Les escro­queries au marché bour­si­er et de chemin de fer, et la poli­tique de «pay­er pour jouer» étaient la norme. Les rich­es se van­taient d’être des super­hommes, et une petite classe de pro­fes­sion­nels prospères leur fai­sait cho­rus. Les 1% les plus rich­es pos­sé­daient 51% de la pro­priété, tan­dis que les 44% inférieurs représen­taient seule­ment 1,1%. La plu­part des Améri­cains venaient de lut­ter con­tre une dépres­sion sévère qui dura sept ans et venait d’ar­riv­er à la reprise l’an­née où Whit­man était là. Les rich­es employ­aient des armées privées pour vio­l­er les grèves et les villes ont éclaté lors d’émeutes répétées, toutes suiv­ies d’une répres­sion poli­cière impi­toy­able. Les rich­es pou­vaient tou­jours compter sur leurs politi­ciens achetés pour porter le butin, et sur le racisme enrac­iné, la fer­veur religieuse et la haine des immi­grants (à cette époque prin­ci­pale­ment irlandais et alle­mands) pour tenir compte les «serfs». Les fer­mes du pays étaient tombées sous le con­trôle des élites. Ils avaient dés­espéré­ment besoin des réformes du crédit et des réformes agri­coles, mais ces réformes néces­si­taient aux pau­vres agricul­teurs blancs et aux cul­ti­va­teurs noirs de recon­naître leurs intérêts com­muns et de tra­vailler ensem­ble … quelque chose que les rich­es pou­vaient facile­ment prévenir en pres­sant des bou­tons de la race , religieux, régionaux et xéno­phobes sur leur con­sole de com­mande. Cepen­dant, le peu­ple améri­cain a fini par sor­tir de ce trou. La prochaine généra­tion a freiné le pou­voir des fiducies. C’est ce qu’on appelle l’Époque de la Réforme. Il faudrait plusieurs cycles de ces «épo­ques de réforme» pour con­stru­ire un pays mod­erne … un tra­vail encore inachevé.

Si tout cela sem­ble fam­i­li­er, c’est parce que les États-Unis tra­versent la même chose aujour­d’hui. En ce moment, au Cana­da, nous sommes à l’aise dans la sécu­rité, en obser­vant tout ça avec le même mélange d’hor­reur, de sym­pa­thie, de répug­nance et de pitié comme avant. Nous avons nos pro­pres prob­lèmes, mais ils pâlis­sent par rap­port au cauchemar que font nos frères améri­cains: un traître, tra­vail­lant pour leurs enne­mis, con­trôlant la Mai­son Blanche; des mil­lions de citoyens qui embrassent insen­sé­ment une idéolo­gie total­i­taire non dif­férente du com­mu­nisme ou du fas­cisme; une pop­u­la­tion facile­ment manip­ulé par le même type de con­sole de con­trôle qui fonc­tion­nait quand Whit­man était assis sur le pont de l’Alge­ria, prob­a­ble­ment en regar­dant atten­tive­ment les hiron­delles volant autour de l’en­droit même où j’é­tais debout 137 ans plus tard.

Car les hiron­delles sont tou­jours là. Ils nichent en grand nom­bre dans la falaise, et se com­por­tent exacte­ment comme Whit­man les a décrit.17-08-01 BLOG Lake 2Le ciel accom­plis­sait la fonc­tion de l’er­reur pathé­tique, par laque­lle la nature reflète la con­di­tion poli­tique de la société. Des nuages som­bres roulaient du côté améri­cain, avec des éclairs. Je ne voulais pas être coincé sur une plage inhab­itée au-dessous d’une ligne con­tin­ue de falais­es de 15 kilo­mètres de long, face à un lac dont les orages peu­vent être extrême­ment vio­lents et des vagues extrême­ment élevées. Le chemin que j’avais pris était dif­fi­cile, et le retrait vers le haut aurait été encore plus dif­fi­cile. Alors je mar­chais vers l’est le long de la plage, cher­chant une meilleure sor­tie. J’ai finale­ment trou­vé un endroit qui était suff­isam­ment dégagé de végé­ta­tion, et avec appui solide pour me laiss­er mon­ter, et je suis sor­ti sur la pro­priété bien entretenue d’une grande sta­tion de traite­ment d’eau futur­iste que je ne savais pas exis­ter. [4] C’é­tait com­plète­ment déserté, bien que la ville rem­plis­sait avec dili­gence une grande éten­due avec des bancs de parc et des tables de pique-nique, et les gar­dait aus­si soignés qu’une salle de gom­mage d’hôpi­tal. Il a été appré­cié, cepen­dant, de deux très grands lap­ins à queue de coton. L’un d’en­tre eux a rapi­de­ment sauté lorsque je me suis approché, mais l’autre se tenait debout, et me regar­dait avec ce mépris aris­to­cra­tique par­ti­c­uli­er que j’ai vu dans les kan­gourous sauvages dans l’ar­rière pays aus­tralien. Peut-être avait-il lu Les Garennes de Water­ship Down dans son temps libre, si on peut dire que les lap­ins ont du temps libre.

J’é­tais main­tenant dans le cré­pus­cule com­plet, et je n’avais aucune idée de la dis­tance à laque­lle je trou­verais un bus. En dehors de l’in­stal­la­tion de fil­tra­tion, il n’y avait qu’une route de ser­vice, vide de cir­cu­la­tion, courant à l’est et à l’ouest, par­al­lèle­ment aux voies fer­rées du CNR. Au-delà, rien de vis­i­ble que d’ar­bres. La région de Scar­bor­ough con­tenant des êtres humains était quelque part au-delà, mais com­ment faire pour y arriv­er? Je mar­chais vers l’ouest le long de la route, et je trou­vai enfin une route qui tra­ver­sait le chemin de fer, en direc­tion nord. Il s’agis­sait d’un pas­sage à niveau, sans rien d’autre que d’un saltire, d’une lumière et d’une barre prim­i­tive. Il faut que ce soit le seul à Toron­to mét­ro­pol­i­tain sur une ligne fer­rovi­aire active, et c’est la ligne la plus fréquen­tée du pays, reliant Toron­to et Mon­tréal! Rien ne pour­rait avoir plus effi­cace­ment souligné mon préjugé du cen­tre-ville que Scar­bor­ough était un un pays éloignée et primitive.

Néan­moins, je suis rapi­de­ment venu parmis les maisons. Les ado­les­cents jouaient au bas­ket­ball “pick-up” dans la rue avec un cerceau por­tatif Spald­ing instal­lé sur le trot­toir. Ils m’ont dirigé vers le nord où je pou­vais obtenir le bus 86D, des­ti­na­tion le métro. Je pou­vais juste le voir en tour­nant le coin. Mais il a atten­du à cette coin par­ti­c­ulière pour mar­quer le temps à son horaire, et j’ai réus­si à y courir. Le long de sa route, il a passé une grande épicerie Tamil, alors j’ai sauté du bus pour ramass­er du pain naan, un mélange de gâchettes de style Chen­nai [5] et du bois­son froide au gin­gem­bre. Je suis ren­tré chez moi, comme la veille, et je me suis régalé. Il y avait encore quelques momos restants.

L’écri­t­ure effec­tué ces deux jours: zéro. Mais je les compterais aus­si productifs.

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[1] Eto­bi­coke se prononce “I‑to-bi-co”. Le “ke” est silen­cieux. Per­son­ne ne sem­ble savoir pourquoi.

[2] Wiidi­gendi­win — Une céré­monie de mariage con­for­mé­ment au Midewi­win, les enseigne­ments religieux tra­di­tion­nels des Ojib­way et des Cris. Ces tra­di­tions sont encore actives, par­fois com­plètes, et par­fois en con­cur­rence avec d’autres religions.

[3] Walt Whitman’s Diary in Cana­da, with Extracts from Oth­er of His Diaries and Lit­er­ary Note-books —  Édité par William Sloane Kennedy. 1904 Boston. Small, May­nard & Cie. J’ai lu l’une des 500 copies orig­i­nales, mais elle a depuis été réim­primée. Whit­man a voy­agé jusqu’au Sague­nay en Québec, mais la plu­part de sa vis­ite au Cana­da était avec son ami William Bucke, psy­cho­logue pio­nnier et auteur du terme «con­science cos­mique». Leur ami­tié a fait l’ob­jet d’un film, Beau­ti­ful Dream­ers [Beaux rêveurs] (1992) réal­isé par John Kent Har­ri­son et met­tant en vedette Colme Feo­re et Rip Torn.

[4] L’u­sine de fil­tra­tion de F.J. Hor­gan a été achevée en 2011. Comme elle se trou­ve à Scar­bor­ough, les Toron­toniens du cen­tre-ville comme moi n’en­ten­dent plus par­ler de ce que l’on entendrait au Népal ou en Bolivie.

[5] L’arachide, le kaki, le kara boon­di, le kana rôti, le kara­sev, le murukku, le pako­ra et l’O­ma podi — une com­bi­nai­son beau­coup plus savoureuse que les mélanges Bom­bay et Pun­jabi disponibles dans mon super­marché local.

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